dimanche 26 juillet 2015

1.WEGMAN William

Artiste contemporain.

Né en 1943, William Wegman, peintre et dessinateur américain, est surtout connu pour son travail photographique. Depuis 40 ans, il utilise le chien de la race 'braque de Weimar' comme thème central. Man Ray, son premier chien puis Fay et sa descendance sont devenus ses modèles, jouant sous son objectif les mannequins de mode ou des personnages humanisés.
WEGMAN William, Francis, Cher, Pat and Sally, 1998

Derrière la légèreté et l'humour affichés, l'œuvre de William Wegman est nourrie de questionnements plus profonds sur les comportements humains et leurs représentations. Chaque photographie semble dire : « Ceci n’est pas (seulement) une image de chien », mais une réflexion sur les images que les humains produisent d’eux-mêmes. 

Site de l'artiste : http://www.wegmanworld.com


Rite initiatique ?
Ce chien voilé, qui semble tout droit sorti d’une confrérie obscure, surprend et inquiète par sa grande proximité avec l’humain et par son regard hypnotique et inquisiteur. Wegman fait de l’animal notre égal, le miroir de nos rites sociaux (allusion au bâptème ? châle de mariage judaïque ? scène initiatique d’une religion lointaine ?) « Fay Ray », 2006. 


WEGMAN William, Fay Ray, 2006



Clichés populaires
Légèrement subversif et franchement décalé, l’humour de William Wegman s’est notamment exprimé à travers des citations de contes par des sortes de séries-fictions (suite de mises en scènes théâtrales réunies en albums) comme « Le Petit Chaperon rouge » ou « Cendrillon », avec force effets de décors en carton pâte. Ces clichés viennent débusquer en nous-mêmes nos rêveries de pacotille. L'image passe tour à tour de la construction kitsh du merveilleux à la réflexion sur les limites entre mise en scène narrative et portrait (album "Cinderella")


WEGMAN, Fay's Marchen, Livre Cinderella, ed. Schirmer Mosel, 1993, 40p

WEGMAN William, FAIRY GODMOTHER (CINDERELLA) 1994 Color Lithograph 20½ x 17 inches 


WEGMAN William, CINDERELLA (Just married), 1993

'Just Married', 1993, propose une réflexion sur le stéréotype du portrait de mariage. Nous voyons ce type de composition très sérieusement dans toutes les vitrines de photographes. De l'importance sur nos vies de spectateurs des clichés les plus éculés, qui nous font nous glisser dans des postures de princes et de princesses le moment venu. Le portrait de mariage est révélé comme du merveilleux figé.



Clichés humains, trop humains
Wegman travaille aussi sur les codes des images de publicité et de mode, détournant leur esthétique lisse, parfaite, les poses, compositions, lumières et cadrages (ici, "Top dog in a top coat"). Le modèle à chaque fois, est affublé d’un costume qui met en valeur son anthropomorphisme fascinant ou parodique. 
WEGMAN William, Top Dog in a Top Coat, 2011, polaroïd.


L'image acquiert plusieurs dimensions : elle est imitation et parodie de la photographie de mannequin (de la photo parfaite de mode). Mais, décalée, elle incarne aussi la représentation du lecteur lambda qui se projette dans le portrait de mode par le biais de la figure du chien qui reste non conforme, non idéale, quoique lisse. 




Conventions, postures obligées 
La photographie d’album de famille et ses conventions est aussi questionnée : une chienne grande bourgeoise alongée sous un portrait de famille ("Stepmother" 1992), une  jeune mariée dans le traditionnel portrait de mariage (voir + haut "Cinderella, Just married"). 

WEGMAN William, Stepmother 1992 Color Polaroid, 24 x 20 cm 

En cela, Wegman aborde les thèmes de l’identité, de la normalité, de l’apparence, du conformisme, du décalage : du désir de vouloir être ce qu’on n’est pas, de vouloir se montrer selon des codes bien qualibrés tel qu’on voudrait être.

WEGMAN, pas de légende.


WEGMAN William, Fermier et son fils, 1994/2009
Ici, deux fermiers fiers devant leur champ, propriété transmise au fil des générations… "Fermier et son fils" 1994 miment la photographie sociologique. 






Esthétique de magasine
Sans titre, parodie du portrait de star-fashion victime
Les mises en scène de Wegman sont très structurées, avec un soin particulier porté, comme dans la mode, à la pose du modèle et à la lumière, le tout sur fond neutre. La pureté linéaire des formes du braque de Weimar, la couleur de sa robe, la matière lisse de son pelage qui révèle tous les muscles de son corps, et la présence de son regard font la force esthétique de ses images. ("Armed chair")
WEGMAN William, Armed Chair, date inconnue.
Le chien et la prise de vue, dont la beauté respective s'éclairent l'un l'autre, forment un tout qui ne correspond pourtant pas forcément au cliché de l'image de mode idéale et parfaite. Dans "Dog High Heels Fashion", Elles produisent autant un hommage à la beauté qu'un moyen de créer du décalage, une gêne, un sourire - c'est-à-dire une brèche de pensée et d'humanité dans un milieu où l'image est convenue, où domine la norme idéale et s'efface l'individu particulier

WEGMAN William, Dog High Heels Fashion


Humanité / Animalité
L’artiste se sert-il sans scrupule de ses modèles ? Il se défend de faire travailler ses chiens comme des bêtes : « Prendre une photo dure 1/60e de seconde, c’est la préparation qui est longue. Le chien, lui, attend sur le canapé qu’on l’appelle." 
Il dit aussi : « Mon braque Man Ray n’a jamais pensé qu’il était chien », parlant de son premier compagnon, acquis, presque contre son gré, sur l’insistance de son épouse. Ce chien qui lui tenait compagnie à l’atelier se plaça un jour pour attirer l’attention devant l’objectif. Placide, et ayant comme particularité de garder la pose dans laquelle on le place, le braque de Weimar devint la « matière vivante » de prédilection des « tableaux » photographiques de l'artiste. Ceci dit, Wegman dit aussi qu'il garde "relativement" la pose ... La photo est le produit d'un hasard heureux !

Après la mort de Man Ray, il sera touché par la grâce de Fay, braque de Weimar elle aussi : « Elle était très raffinée, sérieuse, presque sévère, façon Joan Crawford. »  « Les chiens sont des êtres doués d’un grand sens de l’imitation. Si on prend la peine de les écouter, on réalise à quel point ils sont conscients de ce qui les entoure. » C’est cette conscience qui fait la  profondeur du regard des chiens. Regardez cette étonnante vidéo :




Bête de mode, image d'art
Les chiens de Wegman ont aussi joué réellement les dog-modèles pour photos de mode. « Les braques de Weimar ont une expression un peu vide, une attitude décontractée, comme les mannequins lors des défilés », décrypte le photographe. Et comme toute star, ils ont un couturier fétiche : « Issey Miyake est celui qui leur va le mieux. Les formes de ses vêtements [ultraplissés] épousent parfaitement leurs formes. » Même ligne graphique en effet, comme ici, dans « Evolution of a Bottle in Space » (1999). 

WEGMAN William, Evolution of a Bottle in Space 1999 colour Polaroid 


Mais au-delà de la simple photographie de mode, cette image développe un autre contenu. Le titre vient la désacraliser, ramenant la composition sophistiquée à un objet banal, la bouteille, et il inscrit la photographie de Wegman dans l'Histoire de l'art par allusion à une oeuvre du même nom de Boccioni. Ce dernier appartient au mouvement futuriste, dont les recherches de formes cassantes, fragmentées et déstructurées tentent de produire du mouvement à l'arrêt. Le propos de cette photo est donc très drôle (voir mimique du chien, comme pris dans une bourrasque de mouvement) mais aussi artistique, et non pas au service uniquement d'un produit à valoriser (la marque de luxe Issey Miyake). Wegman crée une nouvelle fois du décalage avec les codes du type d'image qu'il utilise.



Bête d’art


Tous les chiens de Wegman jouent de la frontière floue entre humanité et animalité, et tous revisitent l’histoire de l’Art, en des mises en scène ironiques et tendres, à des niveaux plus ou moins visibles. 

WEGMAN William, Arcimboldo, 1994

De la référence revendiquée (à Arcimboldo, 1994) aux jeux subtils sur le socle (ci-dessous) ou les questions de la sculpture  contemporaine, les photographies de Wegman procèdent largement par citation d'oeuvres ou de processus artistiques célèbres. Et ce même lorsqu'elles ont juste l'apparence d'un gag (cf photo animalière de type carte postale d'anniversaire). Elles montrent à la fois une sorte de comédie du monde et une comédie-commentaire du monde de l’art, jouant des codes des images produites par les deux milieux toujours avec humour.





WEGMAN William, Split Level, 2010


Wegman Connector, 1994


WEGMAN William, Stormy Night, 1972
WEGMAN William, Platform Shoes, 2008
sans légende

sans légende


WEGMAN William, Formes élémentaires, 2009, photographie